undefinedJ'ai reçu, il y a quelques jours, une lettre émanant du Collectif Unitaire Montreuillois pour une Alternative de Gauche m'interpellant en tant qu'élu et responsable politique sur les questions du prix et de la gestion de l'eau, à la veille des élections municipales.

Voici leur lettre suivie de ma réponse.



Montreuil, le 19 février 2008                                                   

 

A : Monsieur Nicolas Voisin

Président du groupe socialiste au Conseil Municipal      
                                                                                      
                                              

           

Monsieur,

 

C'est au nom du Collectif Unitaire Montreuillois pour une Alternative de Gauche que nous nous adressons à vous. Notre collectif regroupe diverses sensibilités de la gauche politique sociale et citoyenne. Il s'inscrit dans le cadre politique de la coordination nationale des collectifs antilibéraux.

L’élection municipale donne l’occasion de débats sur les orientations générales d’une municipalité, les programmes, choix et propositions des diverses listes en présence.

Parmi ces débats, il y a celui sur la compétence et le rôle de la municipalité en matière de services publics, et parmi ces services publics il y a celui de l’eau.

A Montreuil, la distribution de l’eau potable, tout comme pour 143 autres communes d’Ile de France relève du SEDIF. Le SEDIF, qui lui même délègue cette distribution, depuis 1923(dans le cadre d’une délégation de service public dite «convention de régie intéressé »)  à Véolia Environnement (multinationale de l’eau -entre autre-).

Or, toutes les données comparatives entre le coût d’une gestion publique de l’eau et d’une gestion privée de l’eau montre que la gestion privée coûte plus cher que la gestion publique. L’enquête de l’UFC-Que Choisir de novembre 2007 l’a bien montré. Et même l’agence de l’eau Seine-Normandie le dit. Par ailleurs, de nombreuses enquêtes ont souligné l’opacité de la gestion de l’eau en Ile de France, ainsi que le mauvais état du réseau.

Pour notre part, refusant qu’une part importante de notre facture d’eau (service public faut-il le rappeler) aille remplir les poches, déjà bien pleines, des actionnaires de Véolia Environnement, nous appelons à un retour en gestion publique directe de la distribution de l’eau.

Appelé à être réélu et donc à représenter la ville de Montreuil au SEDIF, si les électeurs le décident, nous souhaiterions connaître votre point de vue sur ce sujet.

Enfin, si notre association ne donnera aucune consigne de vote nous sommes néanmoins désireux d’informer et de sensibiliser la population sur ce sujet. Nous nous réservons donc la possibilité de faire connaître aux Montreuillois la réponse que vous nous apporterez.

En vous remerciant par avance pour votre réponse, veuillez recevoir, Monsieur, nos salutations citoyennes.

Pour le Collectif Unitaire Montreuillois pour une Alternative de Gauche

P.V.

 

Ma réponse

 

Montreuil, le 24 février 2008

A : Collectif Unitaire Montreuillois pour une Alternative de Gauche

 

Chers amis, chers camarades,

Le Collectif Unitaire Montreuillois pour une Alternative de Gauche m’interroge en tant qu’élu municipal de la Ville de Montreuil sur la question du service de l’eau. C’est bien volontiers que je réponds à cette interpellation dans le cadre de la campagne municipale en cours, car à quel autre moment de la vie citoyenne de notre République cette question pourrait-elle être posée, la gestion de ce bien public relevant de la compétence des Communes depuis la Révolution Française ?

Avant de vous exprimer ma position sur cette question importante, je souhaiterais d’abord rappeler en quelques points le contexte dans lequel Montreuil se trouve, afin de clairement situer les enjeux et d’envisager une méthode raisonnée pour intervenir sur la réalité.

 

Le contexte

Je souligne d’emblée que c’est bien du « service de l’eau » dont nous devons discuter, l’eau proprement dite étant, comme vous le savez, un bien gratuit, personne n’ayant encore réussi à taxer la pluie qui tombe, et nul ne possédant l’eau qui ruisselle dans nos rivières et nos fleuves. Cette précision est fondamentale, car un citoyen qui ne réaliserait pas cela pourrait être amené à concevoir l’eau comme une marchandise finalement comparable à une autre. Or il n’en est rien : l’eau n’est pas une marchandise comme une autre. L’eau, tant qu’elle n’est pas – par exemple – mise en bouteille et étiquetée, n’est pas une marchandise du tout. L’eau est un bien commun et c’est le service de l’eau potable que les consommateurs doivent payer.

Autre rappel : sur les 36.000 communes de la République Française, ce sont plus de 20.500 qui ont choisi depuis plus ou moins longtemps de déléguer ce service public à des entreprises privées. En nombre d’habitants, ce sont près de 70% des français qui sont concernés par cette délégation du service de l’eau potable. Comme vous le notez dans votre lettre, c’est depuis les années 1920 et dans le cadre d’un Syndicat Intercommunal (SEDIF) qui regroupe aujourd’hui 144 communes, que Montreuil a suivi ce mouvement de délégation au privé, à la Compagnie Générale des Eaux, devenue Véolia. La situation de Montreuil n’est donc ni nouvelle, ni exceptionnelle, mais elle s’inscrit dans un processus long et complexe qui s’est accéléré après la deuxième guerre mondiale pour s’affirmer comme ce qu’il est convenu d’appeler « le modèle français de l’eau ». L’enjeu de la gestion de l’eau ne peut donc pas être considéré au seul niveau local, et réglé à coups de slogans simplistes, il s’agit bien d’un enjeu national – voire international – et éminemment politique. Je sais que c’est dans cet esprit que votre collectif conçoit les batailles qu’il mène.

 

Le prix du service de l’eau à Montreuil : de grandes avancées en cours de réalisation

Vous soulevez dans votre lettre le problème du prix du service de l’eau que les consommateurs doivent payer. C’est en effet un aspect important de ce sujet. Lors de sa séance du 28 juin 2007, le Conseil Municipal de Montreuil a adopté la tarification proposée par le SEDIF s’élevant à 3,92€ le m3 (ce prix comprenant aussi l’assainissement et les taxes).

Comme vous l’écrivez, à deux années d’intervalle, l’association indépendante de consommateurs UFC Que Choisir a publié deux enquêtes faisant apparaître d’extraordinaires disparités entre les tarifs de l’eau pratiqués dans des villes comparables et plaçant les villes du SEDIF parmi les plus chères de France. Cette enquête a fait également apparaître des marges nettes réalisées sur le chiffre d’affaire tout à fait excessives.

Sous mon impulsion, le groupe des élus socialistes que je préside s’est abstenu sur le rapport présenté le 28 juin 2007. (voir mon intervention sur http://nicolas.voisin.over-blog.fr/article-11147598.html). C’était la première fois qu’un groupe de la majorité municipale s’abstenait sur cette question, et nous avons demandé qu’une réflexion soit rapidement engagée dans la perspective des élections municipales et de la renégociation du contrat qui lie le SEDIF qui arrive à terme en 2010.

Cette réflexion s’est en effet poursuivie. Lors du Conseil Municipal du 8 novembre 2007, la question est revenue en séance, lors de l’examen du rapport annuel d’activité du SEDIF (voir sur http://nicolas.voisin.over-blog.fr/article-13661580.html). A l’issue des débats sur ce rapport, le Député-Maire a décidé de mettre en place un groupe de travail, réunissant des élus représentant les différentes formations politiques de la municipalité de Montreuil et des citoyens, pour engager une réflexion sur l’état de la situation sur les tarifs et dans la perspective de la renégociation de la délégation. Jean-Pierre Brard, qui est également Vice-Président du SEDIF, s’est également engagé à produire devant cette commission toutes les pièces en sa possession pour permettre un diagnostic complet de la situation. Ce groupe de travail s’est mis en place, mais il faut reconnaître que l’ouverture de la campagne municipale a quelque peu perturbé son fonctionnement. Cependant, l’instance existe désormais officiellement et rien n’empêche sa réactivation au lendemain des élections, en l’élargissant aux associations et aux citoyens.

Mais cette période préélectorale a aussi permis d’accélérer les prises de position sur les principes politiques. Ainsi, dans le programme présenté par la liste de rassemblement de la gauche conduite par Jean-Pierre Brard et à laquelle mon organisation politique participe, figure la proposition suivante :

« Proposer par la négociation avec le Syndicat des eaux d’Ile de France (SEDIF) une nouvelle organisation du tarif de l’eau, assurant un forfait gratuit pour les premiers m3 d’eau consommés et un prix augmentant graduellement en fonction des volumes consommés. » (voir http://www.jpb-montreuil2008.fr/html/proj_2/).

Il faut prendre toute la mesure de cet engagement pour la Municipalité d’une ville « poids lourd » du SEDIF avec ses 100.000 habitants :

-          cette notion de gratuité pour les premier m3 d’eau consommée tendant à réhabiliter l’eau potable comme un bien commun indispensable à la vie, conformément à ce que proposent beaucoup d’ONG (Fondation France Liberté, par exemple) militant à l’échelle mondiale pour la garantie d’une quantité minimum d’eau potable gratuite.

-          l’autre notion de progressivité du prix en fonction des volumes consommés est tout à fait révolutionnaire, puisqu’elle inverse complètement la logique actuelle qui veut que les plus gros consommateurs – et gaspilleurs – de l’eau (dans l’agriculture et l’industrie) paient moins chère cette ressource que les particuliers, pour qui elle est souvent un besoin vital. Cette progressivité introduit en outre pour tous – individus, entreprises et collectivités – l’incitation à utiliser cette ressource dans une gestion raisonnée et durable.

Il s’agit là d’une avancée considérable ! Si cette liste de Rassemblement de la Gauche à laquelle je participe l’emporte les 9 et 16 mars prochain, cet engagement très concret sur la redéfinition de la tarification du service de l’eau devra se mettre en œuvre rapidement car c’est bien dans le cadre de la renégociation en cours que Montreuil devra s’employer à convaincre les 143 autres communes de la pertinence de ces principes. Il s’agit d’une perspective assez exaltante pour les élus, les militants et les citoyens attachés à une certaine idée du service public.

 

Vers le retour en gestion publique directe du service de l’eau potable ?

Dans votre lettre, au-delà de la question du prix à laquelle j’espère avoir apporté des éléments de réponse qui vous satisferont, vous présentez comme vôtre le principe du « retour en gestion publique directe de la distribution de l’eau ».

Est-ce volontairement que vous limitez votre intérêt à la seule « distribution » ? Je pense pour ma part que l’ambition doit être beaucoup plus audacieuse.

Bertrand Delanoë a ouvert sa campagne municipale en novembre sur une déclaration qui a fait grand bruit dont voici un extrait : « L’exigence de clarté qui doit fonder le débat démocratique des prochains mois me conduit à préciser dès à présent ce que sera ma position sur ce dossier, si les Parisiens me renouvellent leur confiance. (…) Je souhaite proposer aux Parisiens un dispositif leur garantissant une eau de qualité, au meilleur coût et avec un haut niveau de performance quant au service offert. (…) Pour répondre à ce double enjeu – meilleure lisibilité des responsabilités et prix plus compétitifs pour l’usager - je privilégie donc un choix d’efficacité consistant à confier à un opérateur public unique la responsabilité de toute cette chaîne du cycle de l’eau, de la production à la distribution. »

On voit comment, dans une perspective républicaine très résolue, il est proposé ici que le service public se réapproprie toute la chaîne du cycle de l’eau, de la production à la distribution. C’est bien dans cet esprit que je me place, et vous savez sans doute que je suis personnellement très engagé dans cette bataille politique au niveau national, participant à diverses associations militant dans ce sens.

Certes, la position tranchée du maire de Paris – dont il faut espérer qu’elle sera validée en mars par le suffrage universel – aurait pu nous inspirer à Montreuil.

Cependant, Montreuil n’est pas seule, et comme je l’ai déjà dit plus haut, il s’agit à chaque fois de convaincre les 143 villes partenaires. Souvent, les maires des villes membres du SEDIF mettent en avant les grandes différences existant entre Paris et nos communes en ce qui concerne les contraintes techniques de notre réseau (beaucoup plus complexe au SEDIF qu’à Paris), ou encore la pollution des cours d’eau (l’Oise, la Seine et la Marne) dans lesquels le SEDIF puise alors que l’eau de Paris est captée directement dans les nappes phréatiques. Tout cela est incontestable, et rend la tâche plus difficile… mais n’interdit pas – même dans un délai plus long – la (re)prise en charge par le secteur public de cette gestion, à moins de se convaincre que l’expertise technique nécessaire ne peut définitivement être assumée que par le seul secteur privé. Mais il est évident que cette résignation ne touche pas la gauche Montreuilloise. Tout est donc affaire – comme souvent – de délais et de rapports de force.

Pour ma part, il me semble que les défenseurs d’un retour en régie publique du service de l’eau au sein du SEDIF pourront se faire une idée assez précise des délais raisonnables et des rapports de force à mettre en place lorsque  sera menée – à l’initiative de la municipalité de Montreuil renouvelée sur un mandat précis – la bataille pour la gratuité des premiers m3 et pour la progressivité des prix. Je connais un certain nombre de maires de communes membres du SEDIF qui n’hésiteront pas à reprendre à leur compte cette idée.

Voilà la perspective dans laquelle je me place. Elle nécessite pour parvenir à l’objectif beaucoup de maîtrise et de détermination de la part des forces politiques volontaires pour mener cette belle bataille, elle exige aussi l’engagement des citoyens dans une affaire qui les concerne pleinement. De plus en plus de villes, de toutes tailles, choisissent depuis quelques années de dénoncer les contrats qui les lient aux compagnies privées pour revenir en gestion publique. J’ai le sentiment qu’un mouvement de fond s’est engagé, c’est avec beaucoup de confiance, mais aussi de patience, qu’il faut concevoir les actions à mener en Ile de France.

 

L’eau : une question politique de fond pour toute la gauche

Pour conclure, je ne peux éviter d’évoquer la difficulté créée par l’incroyable désordre qui s’est installé au sein de la gauche dans notre ville, dans notre département, dans notre pays.

Il me semble évident que si la gauche avait réalisé à l’occasion des élections de mars 2008 son unité sur des bases claires, sur des orientations politiques et des stratégies cohérentes, il aurait été possible d’engager à l’échelle nationale une grande réflexion sur la question de la gestion de l’eau. Vous savez comme moi que l’opinion publique a beaucoup évolué sur cette question depuis quelques années. Le fameux « modèle français de l’eau » qui a laissé s’installer pendant une quarantaine d’année le partage quasi monopolistique du « marché de l’eau » entre les trois grands groupes financiers Véolia, Suez et Saur, est aujourd’hui de plus en plus mis en cause. Depuis une quinzaine d’années, à partir notamment des scandales de Grenoble et d’ailleurs, une prise de conscience s’est imposée, sur les prix et les marges (les enquêtes d’UFC Que Choisir ont beaucoup aidé), mais aussi sur le principe même de la délégation au privé de la gestion d’une ressource fragile.

Partant plus divisée que jamais au combat dans ces élections municipales, la gauche s’est interdit de poser dans les 36.000 communes de notre pays un certain nombre de grandes questions, qui non seulement auraient pu susciter un mouvement de défense des électeurs contre les effets dévastateurs du libéralisme (il est probable que cette résistance va s’exprimer dans quelques jours), mais qui auraient permis de construire un autre modèle au niveau des municipalités et des département que la gauche dirigera dans les six années qui viennent. On peut imaginer comment la gauche rassemblée aurait pu élaborer et porter dans les 144 communes membres du SEDIF une série de propositions comparables – et même supérieures – à celles que nous présentons à Montreuil… Et ce raisonnement pourrait être étendu à tant d’autres questions sur les services publics, sur l’urbanisme, sur l’emploi, sur les transports, sur le développement durable ! On ne peut que nourrir des regrets amers face à la situation.

 

Voilà ce que je pouvais vous proposer, au point où nous en sommes, en réponse à votre courrier. Vous dites que vous vous réservez « la possibilité de faire connaître aux Montreuillois la réponse ». Je vous y encourage ! Je vais moi-même publier cette correspondance. Car j’ai la conviction que seule l’implication citoyenne dans ces questions présumées « trop difficiles et trop techniques » permettra d’inverser la tendance à la marchandisation qui progresse dans tous les secteurs de notre société… et dans tous les pays du monde. Au-delà de la lutte contre les profits excessifs réalisés sur les prix imposés aux consommateurs, la question de la gestion publique du service de l’eau est une belle et grande cause républicaine, sociale et citoyenne. J’espère que nous la mènerons ensemble dans les années qui viennent.

Cordialement,

Nicolas Voisin

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